Astrid n'avait jamais autant réalisé l'importance de Colin dans sa vie depuis que ce dernier vivait sous son toit. Il y avait cette alchimie, cette complicité qui ne nécessitait aucun mot, aucune action. Juste un regard suffisait pour qu'ils se comprennent. C'est pour cela qu'ils formaient un aussi bon duo, probablement pour cela qu'il l'avait choisi parmi tant d'autres pour avoir la chance d'évoluer à ses côtés. Pour pouvoir apprendre ce qu'il sait et devenir plus forte. Mais pas seulement, Astrid s'était découverte au fur et à mesure de ses leçons avec son mentor. Repousser ses limites, apprendre de nouvelles capacités et surtout toujours se surprendre. Tout était une question de volonté, de moral. Sans réellement se l'avouer, Colin était une des pièces maîtresses de sa vie. Son phare qui lui permettait de ne jamais perdre de vue le large. Il n'y avait rien de pire pour un militaire subissant des dégâts psychologiques liés aux guerres que de se retrouver seul. Astrid avait trouvé en Drathir une oreille attentive, elle était devenue au fil de sa convalescence sa meilleure amie et elle l'aimait pour ça. Pour sa douceur et son franc parlé, elle lui permettait de tenir la tête hors de l'eau. Cependant, même si DG donnait un aperçu des réalités vécues au quotidien par les militaires en OPEX : seul un soldat ayant fait la guerre - contre des gens que leur gouvernement avaient appelés ennemis pour justifier les actes de violence contre eux - pouvait comprendre les démons qui faisaient rage dans son esprit. Ce n'était pas péjoratif, ou autre, c'était juste un fait qu'Astrid avait constaté. Pourtant, ce n'était pas une vérité absolue, car si au début, elle allait à ces réunions dépressives d'anciens combattants : elle avait arrêté d'y mettre les pieds quand elle avait compris que cela ne faisait que lui mettre la tête dans les abysses de ses sévices. L'ancien soldat ne parlait jamais de ses cicatrices, de ce qu'elle avait vécu pendant ces longs mois dans le désert pour une raison : en parlait rendait la chose vivante à nouveau. Terré dans le silence, son esprit était la proie de ce monstre constitué de peur. Cette chose intangible qui portait le visage sans vie de ses compagnons d'armes, ceux qu'elle avait laissés tombé. Il n'avait fallu que quelques secondes pour que sa vie prenne un tournant radical et sortir à jamais d'un chemin moins tourmenté. C'était les risques quand on portait les plaques indiquant que vous serviez votre pays corps et âmes. Parler ainsi des Etats-Unis était quelque chose de bien étrange au fond pour la demoiselle. L'Amérique n'était pas son pays. Elle venait du Nord, elle était fière de ses origines et regrettait d'être partie. Nul doute qu'elle pouvait y retourner, cela avait été son souhait avant de connaître Drathir, mais surtout, avant de savoir que Colin avait besoin d'elle.
Ne fait jamais aux autres ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse.
Elle avait vécu l'abandon, se réveiller seule dans cette chambre d'hôpital avec pour seul soutien les bips de la machine enregistrant ses pulsions cardiaques n'avaient réellement pas été une expérience agréable. Le seul « réconfort » que la machine lui avait apporté : lui certifié qu'elle était encore en vie. Astrid estimait encore aujourd'hui ne pas mériter cette seconde chance et si elle avait juré, insulté le nom, le prénom de l'homme qui était maintenant au-dessus d'elle : le soldat se retrouvait à l'embrasser le plus tendrement possible. Comme si cela était la seule chose à faire, la seule chose qui avait un sens en cet instant. Les regrets viendraient ou pas après. Il l'avait sauvé, il avait fait en sorte qu'elle reste en vie : qu'elle ne meurt pas de l'infection qui avait rongé la chair de sa main. Dès lors, il était peut-être temps que Colin savoure son travail.
Peut-être qu'il était temps pour eux de parler, de vivre, d'avoir enfin quelque chose auquel se raccrocher. Astrid n'était plus son soldat, elle n'était même pas sure d'un jour remettre les pieds sur un terrain d'entraînement. Elle n'avait plus rien à prouver. Et dans un sens, elle n'était plus qu'une femme qui survivait tous les jours avec les démons et les cauchemars de son passé. Durant sa dernière séance chez le psy, il avait fait ressortir de sa mémoire des détails troublants. Elle avait avoué allonger sur le divan le regret presque constant d'avoir certes laissé tomber son équipe, ses hommes, mais surtout d'être parti sur un baiser. De ne pas avoir avoué son amour pour Colin. Il serait clairement mentir de dire qu'elle n'avait pas sa petite idée en tête quand elle lui avait proposé de venir. Après cette année latente, à ne pas savoir la réciprocité de ses sentiments : Astrid avait espéré que l'avoir près d'elle permettrait d'avoir cette discussion pouvant amener à de grandes choses ou bien l'achever un peu plus.
Cette discussion, elle était en train de l'avoir ou plutôt de la savourer par le baiser que lui donnait Colin.
Faisant tomber une à une les barrières érigées pour se protéger, pour se convaincre qu'il n'y avait rien qu'un profond respect et une sincère amitié entre eux ; elle se rendait alors que son cœur se gonflait d'allégresse et que ce n'était pas à cause de la peur que son cœur s'accélérait, mais bien a d'un bonheur qui semblait partager. Ses mains savouraient la sensation de toucher une peau tant de fois admirée au détour d'une tente dans le désert d'Afgha. Pressant son corps contre le sien pour l'intimer de ne pas oser s'éloigner d'elle, elle avait besoin de ce contact. Pour se prouver que ce n'était pas un de ces rêves qu'elle avait et dont elle se réveillait encore plus triste qu'au coucher.
Son souffle se mêlait au siens au même titre que ses iris se plongeaient dans les siennes pour dire ce que les mots ne feraient qu'insulter. Caressant avec son pouce son prénom sur le métal, elle remarqua le sursaut de Colin qu'elle ne blâmait pas. Elle n'était pas surprise non plus. Astrid portait encore les siennes. Pour se souvenir de ce qu'elle avait perdu. Les garder autour de son cou était un moyen comme un autre de ne pas oublier, de faire honneur à ceux qui sont tombés au combat, sous ses ordres. Elle vivait pour eux. Voilà ce qui frappait son esprit quand elle les regardait. Astrid n'avait pas le droit d'abandonner, de tourner le dos à cette vie qui s'était accrochée à elle-même quand le lieutenant ne la voulait plus. Cette responsabilité mettait un poids en plus dans son quotidien, pourtant, il était le seul qu'elle acceptait de porter sans fléchir. Elle n'en avait pas le droit.
Aidant Colin à se remettre sur le dos, il était hors de questions qu'elle le quitte des yeux. Des fois qu'il partirait. Au lieu de prendre ses béquilles et partir, il resta et sa boutade la fit autant sourire que réfléchir. Peut-être qu'il n'attendait pas une réponse, peut-être qu'au fond, elle pouvait garder le silence que cela ne serait pas important. Pourtant, Astrid avait l'impression que cela était le moment propice pour parler ouvertement. Pour vider son cœur, s'exprimer librement sur des choses qu'elle ne comprenait pas, des sentiments qui lui faisaient peur. Aimer autant quelqu'un était nocif. L'amour était la seule chose peut-être qui pouvait faire et défaire des nations entières. On s'émoi, on meurt d'amour, on vit pleinement et on meurt. C'est ce qui est probablement beau dans ce sentiment. Il donnait des ailes aux braves et donnait le coup de grâce aux faibles, à ceux qui avaient tout perdus. Il était temps pour Astrid de recevoir le verdict final.
Colin souffla son prénom, elle n'avait pas quitté son regard, caressant tendrement les traits de ce visage qui avait hanté bon nombres de ses nuits. Elle étudiait chacune de ses réactions, attendant avec appréhension la suivante tandis qu'elle tentait d'expliquer le spleen qui avait résulté de ses sentiments. Sa main dans la sienne la fit sourire, la rassura et la poussa à continuer : l'encourageant à faire quelque chose qu'elle n'avait jamais faite. Lui donnant aussi le courage de paraître faible devant celui qu'elle avait admiré. Il était étrange de se dévoiler ainsi, de montrer une autre partie de sa personnalité alors qu'elle avait passé des années à prouver à Colin qu'elle était forte, qu'elle n'avait pas peur, qu'il n'y avait rien d'impossible à l'instant où l'ordre sortait de ses lèvres et non d'un autre.
Une fois le dernier mot expiré, elle sentit son cœur s'arrêter puis rédémarrer en manquant quelques battements au début en sentant à nouveau ses lèvres contre les siennes. Sans qu'elle ne s'en rende compte, elle se mit à sourire. Soupirant de soulagement de voir que ce discours n'était pas reçu par un rire, par des moqueries et encore moins par un refus quelconque. Quand il commence à parler, sa risette s'agrandit un peu plus. Sa main sur sa joue détendit ses muscles et un sentiment de plénitude prit possession de ses entrailles tandis que son regard ne lâchait pas celui de son supérieur.
« Ce n'est pas dans mes plans de te laisser tomber de toute manière. »
Répondit-elle le plus naturellement du monde, sans y réfléchir. Ils n'avaient pas survécu tous les deux à la folie humaine pour se laisser abattre aussi facilement n'est-ce pas ? Fronçant les sourcils, perdant un peu son sourire en entendant qu'il s'excusait à son tour, elle remarqua que sa respiration s'était arrêtée. Astrid n'aurait jamais fait une telle chose. Certes, elle l'admirait, mais elle était une personne bien trop entière et intègre pour pouvoir, mentir et se mentir sur ses propres sentiments. Elle l'écoute et étrangement, ces mots font mal. Elle pensait que ses regards l'avaient trahi. À l'époque, elle avait cru que ce n'était qu'une question de semaines, de mois avant que ses supérieurs se rendent compte qu'il y avait plus que de l'admiration dans ses yeux, mais bien une forme d'amour qui ne pouvait pas être expliqué encore. Ce n'était que dans l'adversité qu'on se rendait compte de qui nous manquait. Le prénom de Colin était celui qui était revenu le plus dans son esprit. Il n'y avait que lui, peut-être même qu'il n'y aurait que lui. Elle avait tenté d'aimer, de se convaincre dans les bras d'un autre qu'elle n'avait pas besoin de son supérieur. Astrid s'était non seulement mentie à elle-même, mais également à Roberts. Lui aussi apparemment. Sa confession sur ce qu'il souhaitait voir au lever et au coucher la fit sourire et rougir à la fois. Elle avait l'impression d'être une adolescente de quinze ans qui vivait son premier émoi. Ne lui laissant pas réellement le temps de parler, de répondre à son tour : il l'embrassa. Elle referma ses yeux pour savourer un peu plus le plaisir qui naissait de ce baiser. Astrid se mords la lèvre en entendant sa conclusion et répondit à nouveau au dernier baiser qu'il lui donna avant de se lever. Jallek attrapa sa main pour se redresser à son tour.
« Si tu savais comme j'ai attendu ce moment où c'est moi qui donnerais les ordres. »
Commente-t-elle en rigolant montrant qu'elle le taquinait bien évidemment. Elle n'avait jamais aimé prendre des décisions. Elle était un bien meilleur soldat qu'elle n'était un commandant. Elle regarda le bol au sol avant de se baisser et d'attraper les morceaux avec sa main artificielle. Le seul avantage d'avoir une prothèse qui remontait jusqu'à la moitié de votre avant-bras. Elle mit les éclats à la poubelle avant de balayer pour ne pas que Max se coupe. Astrid n'avait plus envie de partir, d'aller courir. Alors, elle mit la cafetière en route et s'installa à nouveau sur sa chaise.
« Tu sais que j'ai besoin de toi hein ? » Elle posa sa tête dans sa main, la penchant sur le côté : « J'aurais toujours besoin de toi, je crois et si ces mois l'un sans l'autre m'ont fait réaliser beaucoup de choses... Ils m'ont paru vides. Le tatouage est plus une passion, je m'en sers pour arrondir mes fins de mois, mais... Mon vrai métier s'était d'être ton Lieutenant. D'être sous tes ordres. Au moins, je pouvais être en ta compagnie. Tu étais une des raisons qui me faisait aimer mon travail. »
C'était la vérité malheureusement. Astrid aurait aimé pouvoir affirmer en un sens que non, elle n'avait pas besoin de lui, qu'elle n'avait besoin de personne. Mais cela serait mentir et elle détestait cela. D'autant plus qu'elle n'avait jamais utilisé le mensonge contre Colin.
« Tu ne me dois rien, Colin, tu le sais aussi bien que moi. Tu n'as pas à te justifier non plus. Et tu as raison : ce n'est pas ce que je veux entendre. Je ne serais pas devant toi, je n'aurais pas pu survivre à tout cela sans tes enseignements. Sans ta volonté de faire de moi une personne bien plus forte que je ne l'étais en arrivant au régiment. »
Elle hausse les épaules. Elle méritait le meilleur n'est-ce pas ? Astrid l'avait sous les yeux. Et cela s'était confirmé par les baisers qu'il lui avait donnés. Le tatoueur se leva et chercha dans le meuble de l'entrée, dans ses calepins de desseins. Elle en sortit un et retourna auprès de Colin tout en faisant défiler les pages. Elle trouva enfin le dessein et se mit à sourire un peu plus :
« Je crois que... Enfin... C'est le carnet que je tenais quand on était en OPEX. » Elle le mit devant lui pour le laisser regarder son dessin. « J'ai dessiné ça à ton insu, j'en suis désolée. » Astrid s'éloigna pour préparer son mug : « Tu dormais et la lumière était parfaite. » En effet, c'était lui qu'elle avait dessiné et dessinait le plus souvent. Le pire c'est que ce n'était jamais intentionnel. Elle dessinait toujours ce don, elle avait envie. Tout cela pour avouer : « Au risque de paraître cheesy et niais, je crois que tu es aussi ce que je veux voir quand je ferme les yeux le soir et que je les ouvre le matin. » Le lieutenant resta de dos pour cacher le rouge de ses joues et son malaise. « What else j'ai envie de dire, cela a été notre quotidien pendant de longs mois n'est-ce pas ? » Elle prit enfin le courage de se retourner pour le regarder. Gardant toujours son sourire, elle s'approcha de lui et conclus : « Je... Je suis heureuse d'avoir eut cette discussion avec toi. » Puis elle l'embrassa. Purement par envie et pour se conforter.